Matrice, exposition à la galerie Jean Brolly, du 26 octobre au 23 novembre 2019
La France
À l’ère de Google Street View, il n’est plus nécessaire de se déplacer pour accéder à l’image d’un lieu. Les outils numériques de cartographie permettent de préparer un voyage et de rechercher le spot idéal par survol des paysages. On passe instantanément d’une ville à l’autre sans notion de durée ni de distance.
En réaction et en dialogue avec ces outils numériques exceptionnels, mon travail artistique s’attache à mettre en jeu le temps, le déplacement physique et le hasard. Dans une époque envahie par la simultanéité, la vitesse et une ubiquité illusoire, je m’attache à produire des œuvres selon des processus classiques de création longs et complexes. Chaque série d’images relève d’un protocole précis qui engage la durée.
Pour le projet « la France » le territoire est quadrillé selon une matrice orthogonale de 100 km d’unité. A chaque intersection de la matrice, toujours une photographie avec un objectif 100 mm qui pointe vers le nord au niveau de l’horizon. « Reconnaître le studium, c’est fatalement rencontrer les intentions du photographe » disait Roland Barthes (1). Ici le cadrage n’est pas choisi mais contraint parle point GPS, l’orientation cardinale et la focale utilisée : mon intention est-elle lisible intrinsèquement à chaque image ? Tandis que « le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point » (2) ; le téléobjectif tente de saisir un détail (punctum). Ce projet allie donc contraintes fortes et hasard, corps et temporalité : quel que soit l’accessibilité du lieu, son environnement, son cadre, je me donne rendez-vous là et nulle part ailleurs …
L’ensemble des 52 images ainsi obtenues nous révèle un paysage enfoui, une œuvre arpentée proposant une radiographie non continue de la France, avec une objectivité construite.
Le résultat tient son originalité non pas tant dans le résultat visuel mais dans les sujets statistiquement très rarement photographiés. Peut-être jamais photographiés. Ce projet pose la question de la photographie : ces images accèdent-elles moins au statut de Photographie que celles qui seraient réalisées par l’œil aiguisé d’un photographe de paysage en quête du meilleur point de vue ? Pour cette raison, et parce que les lieux sont généralement difficiles d’accès, les photographies sont sous-exposées. Difficile à voir pour le spectateur. L’œil devra faire un effort d’adaptation.
Cet ensemble propose ainsi une grande fresque de la France au travers d’une vision nouvelle, loin des routes, sortie de clichés habituels des belles images mais porteur d’une certaine vérité.
(1) (2) La chambre claire, Roland Barthes, 1980